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29 septembre 2006

Réalisme/Antiréalisme

http://www.univ-nancy2.fr/poincare/colloques/AR06/presentation.htm

La question du réalisme appartient à la catégorie restreinte des questions fondamentales, en ce sens que les décisions théoriques qu’elle appelle commandent à leur tour une série de conséquences recouvrant l’ensemble du champ de la réflexion philosophique : métaphysique, philosophie de la logique, sémantique, philosophie des sciences, philosophie de l’esprit, éthique, esthétique, philosophie de la religion, etc. D’une façon générale, on peut opposer, en première approche, deux attitudes, correspondant à deux thèses :

(A) Le réalisme, selon lequel il existe une réalité déjà toute faite dont nos meilleurs savoirs constituent une description correcte. La sémantique de nos théories est une voie d’accès à leur ontologie.

(B) L’antiréalisme, pour qui l’objectivité des savoirs n’implique nullement la correspondance avec une réalité « ready-made ». Les choses que nous disons connaître sont, au moins pour une part, constituées, par les relations cognitives que nous entretenons avec elles, la façon dont nous leur appliquons des concepts ou par le langage que nous utilisons pour les caractériser.

Le réalisme semble avoir pris la suite des grands systèmes métaphysiques qui se donnaient pour tâche de dire ce qu’est la structure fondamentale de la réalité. On parle ainsi parfois de réalisme métaphysique. Mais le plus souvent c’est aux sciences physiques et aux disciplines qui leur sont réductibles que revient l’autorité quant à la description correcte du réel. Cette forme de positivisme a pour nom le réalisme scientifique.

L’anti-réalisme semble historiquement résulter de la « révolution copernicienne » opérée par Kant : tout ce que nous pouvons connaître doit entrer dans les catégories en termes desquelles nous les pensons et ne peuvent donc pas être connues telles qu’elles sont en elles-mêmes. Il a ensuite pris la forme de multiples idéalismes, du constructivisme épistémologique, du conventionnalisme, du pragmatisme. Ces filiations sont contestables et un des intérêts du colloque sera de considérer à nouveaux frais cette nomenclature, quitte à remettre en cause certaines parentés qu’une interprétation historique superficielle peut suggérer.

Une autre façon de présenter le colloque est de réfléchir à la relation complexe qu’entretiennent les notions de réalité et de vérité. Dans Raison, vérité et histoire, en 1981 (tr. fr. 1984, p. 61), Hilary Putnam avait ainsi fixé les positions. D’une part, « le réalisme métaphysique », pour lequel « le monde est constitué d’un ensemble fixe d’objets indépendants de l’esprit ». Dès lors « la vérité est une sorte de relation de correspondance entre des mots ou des symboles de pensée et des choses ou des ensembles de choses extérieures ». De l’autre, une conception philosophique dans laquelle « la question “De quels objets le monde est-il fait ?” n’a de sens que dans une théorie ou une description ». Dès lors, « la “vérité” est […] une sorte d’acceptabilité rationnelle (idéalisée) – une sorte de cohérence idéale de nos croyances entre elles et avec nos expériences telles qu’elles sont représentées dans notre système de croyances – et non une correspondance avec des “états de choses” indépendants de l’esprit ou du discours ». En allant encore plus loin, l’irréalisme (un terme emprunté à Nelson Goodman) est la thèse selon laquelle les mondes ne sont nullement indépendants du fonctionnement des systèmes symboliques grâce auxquels nous les élaborons. Entre les deux extrêmes, s’ils en sont, de ce que Putnam appelle le « réalisme métaphysique » et de ce que Goodman appelle « l’irréalisme », il existe des conceptions intermédiaires. Elles refusent le réalisme métaphysique sans pour autant accepter le constructivisme radical. On doit aussi remarquer que l’adoption d’une des deux thèses dans un domaine, l’éthique par exemple, n’implique nullement qu’on l’adopte dans d’autres, la philosophie des sciences, par exemple. Il convient donc de distinguer des formes globales de réalisme et des formes partielles ou localisées, de même pour l’anti-réalisme.

Le colloque ne pourra examiner le débat entre réalisme et anti-réalisme dans toute son étendue, c’est-à-dire dans tous les domaines. Il se limitera à deux secteurs déjà vastes : la logique et la métaphysique. La raison fondamentale qui milite en faveur d’un traitement simultané de la problématique du réalisme et de l’anti-réalisme dans ces deux domaines tient à leur imbrication historique et problématique. Historiquement, la question de savoir si les principes d’identité, de contradiction et du tiers-exclu, ou le principe de bivalence, doivent recevoir une interprétation exclusivement psychologique ou épistémologique, ou une interprétation ontologique, est déjà présente chez Aristote. Aussi bien chez les Médiévaux que lors de la renaissance de la logique avec Frege et Russell, c’est dans une perspective métaphysique que la question du statut des lois logiques s’est posée. Quand leur statut ontologique a été contesté, chez certains conventionnalistes ou dans l’interprétation intuitionniste ou wittgensteinienne en logique, c’est justement de la possibilité du découplage de la logique et de la métaphysique qu’il s’est agi.

Les problématiques du réalisme en logique sont souvent proches de celles du réalisme en métaphysique. Si la logique est entendue comme discipline produisant des formules valides ou « logiquement vraies », le réaliste en logique soutiendra que ces vérités logiques transcendent nos moyens de les connaître, et qu’il doit y avoir une logique universelle apte à les décrire. A l’opposé, l’anti-réaliste défendra l’idée que les vérités logiques dépendent de nos théories, cette attitude théorique s’accompagnant souvent d’une forme de pluralisme.

Si la logique est plutôt vue sous l’angle inférentiel, la relation de conséquence logique y jouant alors le rôle principal, la question du réalisme devient centrale dans le choix de la logique. Cette question est au coeur de la philosophie du père de la logique moderne, Gottlob Frege. Indépendamment de la thèse proprement frégéenne de l’objectivité de la vérité, le réalisme en sciences formelles consistera à poser que l’objet de ces sciences est de décrire correctement les relations qu’entretiennent les contenus propositionnels des énoncés. Ces relations sont perçues comme indépendantes du sujet de la connaissance, qui, à proprement parler, les découvre. L’antiréalisme en sciences formelles, dont la version moderne est inaugurée avec le programme intuitionniste, considère l’activité scientifique comme une activité de construction d’un objet, qui ne saurait en conséquence être considéré comme indépendant du sujet de la connaissance. L’importance historique de la question ne saurait être surestimée : la discussion concernant les fondements des mathématiques, qui s’étend des années 1880 jusqu’aux années 30 du vingtième siècle, dépend de façon immédiate des attendus de la discussion du réalisme. Mais les enjeux de la question ne sont pas seulement historiques. Un des aspects importants du colloque est qu’il réunira les auteurs contribuant à un volume de la série Logic, Epistemology and the Unity of Science (Springer), consacré à la discussion d’une proposition antiréaliste extrême défendue par Jacques Dubucs, sur la base d’une interprétation originale du développement récent de la logique linéaire. En d’autres termes, un des enjeux du colloque sera de mettre en discussion les formes modérées et radicales d’antiréalisme, dans le contexte de la recherche logique actuelle. Il est à noter qu’aucun colloque n’a été expressément consacré en France à la question du réalisme et de l’anti-réalisme.

Ce colloque constituera un moment privilégié dans le cadre institutionnel de l’organisation. D’une part, parce qu’il sera bienvenu pour plusieurs doctorants dont le travail de recherche recoupe certains aspects de la question réalisme/anti-réalisme. D’autre part, le colloque entre dans le cadre du PICS « Systèmes de la Connaissance et Pratiques Scientifiques en Allemagne, France et Italie à partir de 1850 » dans lequel les Archives Poincaré se sont engagées. Plus précisément, un des axes de ce PICS concerne de l’épistémologie, entendue au sens large de l’étude des systèmes de connaissance, de l’ontologie, des théories logiques, des méthodes scientifiques, et des fondements des sciences. Recevant le soutien actif de la l’Institut International Erasme (MSH – Nord Pas de Calais), le colloque s’inscrit aussi dans la perspective du projet MSH « La Science et ses contextes » dont l’ambition est de contribuer à l’étude du paradigme épistémologique pragmatique et antiréaliste qui émerge des sciences de la complexité depuis le milieu du siècle dernier.

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Commentaires
J
non
P
Ce n'est pas en tordant l'ignorance qu'on en extraiera la connaissance.
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